Ce que les examens par les autorités de la concurrence nous ont appris de la stratégie de Microsoft


Activision Blizzard est détenteurs de licences phares du jeu vidéo (« Candy Crush », « World of Warcraft » ou « Call of Duty »).

On ne dépense pas autant de milliards sans attirer l’attention : le rachat d’Activision Blizzard par Microsoft, annoncé en 2022 pour un montant de 69 milliards de dollars, a entraîné des examens minutieux par les autorités de la concurrence des principaux marchés du jeu vidéo. Il est, depuis le 13 octobre, effectif.

Entre-temps, Microsoft s’est retrouvé confronté à la Federal Trade Commission (FTC) américaine, qui a lancé une procédure judiciaire pour tenter de bloquer le rachat, ainsi qu’à un veto initial de la Competition and Market Authority (CMA) britannique, levé en septembre.

Ces deux procédures ont conduit à la transmission de documents internes et d’informations encore confidentielles de la part de l’éditeur Activision Blizzard, de Sony et de Microsoft (respectivement constructeurs des consoles Xbox et PlayStation). Rendus publics, parfois par accident, ces informations ont donné un éclairage inédit aux coulisses de l’industrie du jeu vidéo.

Rattraper son retard

En octobre 2022, un rapport de la CMA commence par révéler la part de consoles Xbox sur le marché – un chiffre sur lequel l’entreprise n’a plus communiqué depuis 2015. Il apparaît ainsi qu’en 2021, 63 millions de Xbox avaient trouvé preneurs, contre 151 millions de PlayStation.

Le rapport britannique révèle aussi une audacieuse stratégie envisagée par Microsoft en 2017 pour vendre, sinon des consoles, du moins des jeux : proposer de rendre possible l’accès à son service de jeux par abonnement, le Game Pass, depuis une console PlayStation. Mais Sony a « choisit de bloquer » cette sorte de Netflix du jeu vidéo sur ses plates-formes. A partir de là, changement de stratégie : Microsoft va mettre la main au portefeuille pour garnir son catalogue d’alléchantes exclusivités.

Microsoft a lancé la première Xbox le 15 novembre 2001.

Des documents internes transmis à la FTC montrent que l’entreprise a bien des vues sur beaucoup de studios. Ont été envisagés les rachats de Zynga (acquis par l’éditeur Take-Two en 2022) ou de Playrix, spécialistes du jeu mobile, mais aussi de Bungie (sur lequel PlayStation a mis la main en 2022) ou des Japonais Sega et Square Enix. Un e-mail interne de Microsoft dévoile même un des rêves de Phil Spencer, le patron de Xbox, au détour d’une conversation avec un autre cadre de l’entreprise : devenir propriétaire du géant Nintendo.

La guerre des exclusivités

Dès 2020, la firme de Redmond (Washington) entreprend d’absorber ZeniMax (qui possède ID Software, Bethesda ou Arkane) en déboursant 7,5 milliards de dollars. Une manière pour Phil Spencer de barrer le passage à PlayStation, a-t-on découvert durant le procès intenté par la FTC : ce dernier redoute que Starfield, la dernière production de Bethesda, sorti le 6 septembre, ne passe sous le pavillon Sony.

Après le rachat, les nouveautés de ZeniMax deviennent des exclusivités Xbox : Starfield donc, mais aussi Hi-Fi Rush et Redfall. Le sort du prochain jeu de Bethesda, The Elder Scrolls VI, dont on est sans nouvelle depuis 2018, est en revanche incertain. Et pour cause, d’après le patron de Xbox, interrogé par la FTC, celui-ci ne sortira pas avant cinq années supplémentaires.

Pour communiquer, Sony met généralement en avant les exclusivités de ses consoles PlayStation, comme ici « The Amazing Spider-Man », « The Last of Us »,  ou « Ghost of Tsushima ».

Il n’y a pas que Microsoft dont les secrets ont été éventés. Des documents envoyés à la FTC par Sony ont révélé le budget des exclusivités The Last of Us 2 (220 millions de dollars, soit environ 207,8 millions d’euros) et d’Horizon : Forbidden West (212 millions de dollars). L’entreprise aurait préféré garder pour elle ces chiffres, mais elle a été trahie par une mauvaise dissimulation des montants sur des documents montrés au public.

La même maladresse a également permis de connaître le montant du chiffre d’affaires généré par Call of Duty, jeu mastodonte édité par Activision Blizzard et sorti sur PlayStation en 2021 : selon Sony, le jeu a généré 800 millions de dollars (755,67 millions d’euros) sur ses consoles rien qu’aux Etats-Unis cette année-là, et 1,5 milliard de dollars pour le monde entier. C’est d’ailleurs l’argument avancé par Sony pour convaincre les régulateurs d’annuler l’opération de Microsoft. Selon la division jeu vidéo de l’entreprise japonaise, son homologue américain souhaite utiliser la popularité de Call of Duty pour dégrader l’expérience des joueurs sur PlayStation.

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Cette véhémence s’apparente toutefois à un coup de bluff. La révélation par la FTC d’un e-mail du PDG de PlayStation, Jim Ryan, montre que celui-ci n’a jamais vraiment cru à cette menace : « J’ai passé assez de temps avec Phil [Spencer] et Bobby [Kotick, le PDG d’Activision Blizzard]. Je suis assez certain que nous allons encore voir [Call of Duty] sur [PlayStation] dans les années à venir », écrivait-il, deux jours après l’annonce du rachat. Un accord a finalement été signé en juillet 2023 avec Microsoft pour garantir que la série soit disponible sur les consoles rivales durant au moins dix ans.

Des indices sur les nouvelles consoles

L’accord sur Call of Duty bénéficie autant à Sony qu’à Nintendo, absent des audiences. Le jeu de tir n’a jamais été proposé sur la Switch, la console la plus populaire du moment, mais aussi la moins puissante. Le patron d’Activision Blizzard s’est d’ailleurs livré à un mea culpa sur ce point et a dit « regretter » de ne pas avoir commercialisé son jeu de guerre sur « la deuxième console la plus vendue de tous les temps ». Les éloges de Bobby Kotick à Nintendo se sont cependant accompagnés d’indiscrétions embarrassantes pour l’entreprise basée à Kyoto.

Nintendo a récemment annoncé que la Switch serait produite jusque 2025... sans pour autant évoquer de successeur.

L’homme d’affaires a ainsi ouvertement évoqué, devant le tribunal californien où se tenait le procès intenté par la FTC, le prototype de la machine qui va succéder à la Switch, encore sous le sceau du secret : il a ainsi expliqué avoir assisté à une présentation d’un prototype à la fin de l’année 2022 et que sa puissance sera similaire à celle des consoles PlayStation 4 et Xbox One.

Les très secrets projets de Microsoft en matière de consoles ont, eux aussi, été éventés au cours de ces procédures : Microsoft a ainsi transmis par accident des documents secrets à la FTC, dans lesquels sont montrées une nouvelle version de la Xbox Series X, au design cylindrique et dénué de lecteur de disque, ainsi qu’une manette de nouvelle génération dotée d’un accéléromètre.

Une image datée de mai 2022 révèle enfin une date importante pour l’avenir de l’entreprise : 2028. C’est celle qui apparaît dans un de ces documents évoquant la sortie d’une encore hypothétique prochaine génération de console Xbox qui ferait fonctionner des jeux en streaming « hybrides », s’appuyant sur « la puissance combinée de la machine et du cloud ». Impossible de savoir si ces informations sont toujours valables aujourd’hui, Phil Spencer s’étant empressé, dans les heures ayant suivi la fuite, d’assurer que certaines hypothèses avaient, depuis, été écartées. Elles constituent cependant un témoignage rare sur les discussions internes au sein d’un géant de cette industrie, généralement avare en confidences.



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Catégorie article Politique

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